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l'internationale intersticielle - Page 6

  • L’enraciné Abbé Aymon

    Célébrons l’Abbé Aymon. Les merveilles de la nature à l’ombre de la croix : une telle promesse a de quoi nourrir la perplexité de l’automobiliste qui traverse un village de l’Indre en 1994. A fortiori si la croix est rouge. Et qu’elle se détache sur une façade blanche comme la blouse d’une infirmière. A fortiori si une pancarte au pied de la porte de la boutique fait état de chefs d’œuvre de racines à voir et à revoir.

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    Fût-on athée comme une souche, rancunier comme une mule du pape à l’égard des membres du clergé, on ne pouvait que plaider pour cette paroisse.

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    La paroisse rurale de ces faiseurs de miracles -ensoutanés ou non- qui ont de l’art au bout des doigts. On pénétrait au centre de celle-ci qui mêlait si facilement bréviaire et De natura rerum par trois degrés de pierre alors salpêtrées.

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    Curieux du zoo bizarre qu’on apercevait derrière des vitres plus ou moins translucides. 250 animaux et personnages se pressaient là, on voulait bien le croire.

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    Mais la porte était fermée. Il fallait attendre -innocente initiation- le concours de Georges, un voisin qui veillait sur le lieu. Il ne tardait pas.

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    Il y a 23 ans, c’est à dire 7 ans après la disparition de André Aymon (1903-1987), le souvenir de ce drôle de curé était encore vif à Thevet Saint-Julien, commune du centre de la France. Inventeur, bricoleur, sculpteur, lève-tôt, évadé pendant la guerre…

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    Georges se faisait l’écho des anecdotes de ses concitoyens. C’est que l’Abbé Aymon avait tout ce qu’il fallait pour entrer dans leur modeste Légende dorée. Avec son nom de chanson de geste. Avec son église dont il avait 45 ans durant ouvragé les portes, décoré les piliers et les balustrades. Dans un style d’imagier réservé dans nos campagnes à des travaux de moindre ampleur (boîtes, cannes, coffres etc.).

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    Fils de menuisier, Aymon était tombé dans le bénitier des travaux d’art à 9 ans. « J’ai volé une planche de l’atelier pour la sculpter et je lui ai fait un cadre avec une branche d’églantine » confiait-il à l’un de ces journalistes dont il n’aimait guère qu’ils viennent l’embêter « pour mettre des articles sur les journaux ».

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    Sagement André Aymon faisait la part du feu. Si, malgré son originalité, son église témoignait de son adaptation sociale, son centre paroissial pactisait avec des forces radicalement individuelles.

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    Puisant ses matériaux au bord de L’Igneraie, la petite rivière qui baigne une dizaine de localités de la région, il y discernait des formes qu’il aidait à naître par des interventions plus ou moins légères.

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    Avec une sorte d’intuition hallucinatoire qui n’est pas sans faire penser aux Légendes rustiques récoltées dans le Berry par Maurice Sand.

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    De ce point de vue, la scénographie sauvage privilégiée par l’abbé dans son centre paroissial (de nos jours devenu musée), avec son apparence de vrac métonymique, ménageait à l’inconscient des voies d’accès.

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  • Déprédations programmées

    Un million de dollars pour une citrouille, des miettes pour une cathédrale. Faut-il en rire ou en pleurer ? On se le demande. Même si la citrouille était fausse. Même si la cathédrale était un modèle réduit de celle de Chartres. L’iconoclastie est au cœur de notre monde comme l’obsolescence programmée peut l’être au cœur du marché. Deux événements récents nous le rappellent.

    La destruction délictieuse d’une œuvre de Raymond Isidore au sein de sa maison Picassiette devenue monument historique.

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    L’endommagement accidentel de l’installation cucurbitacière de Yayoi Kusama au musée d’Hirshorn à Washington.

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    Tragédie dans le premier cas puisque la cathédrale miniature constituait le noyau central de la création mosaïquée d’Isidore, le foyer incandescent de sa ferveur bâtisseuse.

    Farce dans le second puisque l’artiste japonaise ne tardera pas à remplacer cette kitchounette citrouille en céramique, récoltant au passage tout le profit médiatique possible de cette péripétie.

    Car la différence s’arrête là. A Raymond Isidore, la stupide volonté de nuire d’un saccageur du dimanche soir. A Yayoi Kusama, l’étourderie d’un visiteur qui voulait prendre un selfie. Acte malfaisant et délibéré dans le premier cas. Acte manqué, plus ou moins induit, dans le second. Plus ou moins induit parce que le mode de visite de l’installation de Yayoi Kusama (30 secondes, porte fermée, seul ou par groupes de 4) supposait bien évidemment le risque.


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    La mésaventure du visiteur maladroit de Washington illustre à sa façon la connivence paradoxale de nos sociétés -pourtant patrimoniales en diable- avec le vandalisme. La pratique de l’incitation douce à la déprédation s’est installée dans les milieux professionnels de l’art au point de faire partie de l’œuvre elle-même en contribuant à son retentissement.

    Exposez par exemple une réplique en lego d’un personnage de Zootopie à taille humaine et il se trouvera toujours un garnement pour franchir le cordon de sécurité et mettre par terre cet artefact de l’artiste chinois Zhao.Tentation trop forte qui ne fera l’objet d’aucune réprimande.

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    Comme dans l’affaire de Washington, les institutions exposantes et les artistes se sentent assez payés d’avoir attiré (ou élargi) l’attention sur des travaux qui n’en méritaient peut-être pas tant.

    C’est en tenant compte de ce contexte qu’il faut mesurer les menaces qui pèsent sur les œuvres des constructeurs de rêves individuels tels que Raymond Isidore. L’ignorance à leur sujet a reculé et avec elle l’hostilité collective aux expressions originales. Mais un vieux fond d’ostracisme demeure repeint aux couleurs ternes d’un égalitarisme à tendance totalitariste. De ce point de vue la montée des prix sur le marché des créations autodidactes fonctionne comme un facteur aggravant d’une certaine jalousie niveleuse (c’est cher donc je détruis) ou socialement narcissique (c’est connu donc j’y porte ma griffe prédatrice).

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  • Peinture aphasique

    On ne parle que du canard. Le canard toujours sauvage naturellement. Mais les Enfants du bon Dieu ont aussi leur charme interstiCiel.

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    Dans le roman d’Antoine Blondin qui porte ce titre, Sébastien Perrin, le personnage principal, cherche quoi faire à Paris. Il constate avec désenchantement : « à part l’exposition de la Galerie Charpentmann ouverte à Un demi-siècle de peinture aphasique, il n’y avait pas grand chose à voir ».

    Bien sûr cette galerie reste la propriété imaginaire de l’auteur. La peinture aphasique, en revanche, est un rêve que l’on peut partager avec lui.

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  • Inuuk : une expo arlésienne

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    Hiver du bonnet rose. La Provence en polaire. Temps idéal pour la sculpture du grand nord. Présences inuit à Sainte-Anne d’Arles.

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    Adieu les taureaux de l’été. Place à l’ours bleu de Lucy Qinnuayak (1915-1952) du Cap Dorset. Fin, puissant, élégant dans la neige du papier.

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    Les expositions sur l’art inuit sont assez rares en France pour qu’on signale celle-ci qui se tiendra jusqu’au 29 janvier 2017. Inuuk n’a que le défaut d’être courte. Mais elle a le mérite de présenter de belles pièces dans un contexte qui, pour une fois, n’est pas celui de la capitale. Certaines sont anciennes comme ce grappin où la différence entre fonctionnalité et beauté s’abolit.

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    L’exposition Inuuk a bénéficié de plusieurs concours, au premier rang desquels Art Inuit Paris.

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    Un masque d’Alaska, une créature en vertèbre de caribou,

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    un félin en os de baleine et cornes de bœuf musqué,

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    une bête spongieuse et griffue proviennent de la Collection de cette Galerie.

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    D’autres monstres… si tant est qu’on puisse mêler la tératologie à ces transformations magiques où le créateur-chasseur lit dans un os la forme d’un mufle.

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    Appartiennent aussi à la Collection AIP deux œuvres de la féconde période des années 60-7O où les Inuits conservaient encore un lien direct avec une source mentale chamanique.

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    Une loutre en bois de caribou, à la gracilité si fluide. Sedna, déesse légendaire du peuple inuit où nous l’on serait tente, à tort, de voir une sirène.

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    L’originalité de cette exposition arlésienne c’est aussi qu’elle ne s’enferme pas dans le passé. En témoigne les présences réelles de deux artistes inuit qui nous ont fait l’honneur de venir résider momentanément à Arles.

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    Billy Gauthier vient de Happy Valley dans le nord-est du Canada. Bill Nasogaluak est originaire des territoires du nord-ouest. Accoutumés à la concentration, ils oeuvrent en live tout en répondant avec gentillesse aux questions des visiteurs sur l’utilisation des instruments modernes et sur leurs façons d’interpréter les mythes et les traditions.

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  • Drolatique hydraulique

    Drolatique hydraulique.

    Ils sont respectivement boucher en exercice, charpentier à la retraite. Septuagénaire, octogénaire. Mais ça ne leur suffit pas. Entre loisir et pulsion de mise en formes, il a fallu qu’ils expriment l’intelligence de leurs mains, la poésie luxuriante et colorée de leur monde intérieur.

    C’est au Japon où les moulins à eau n’en finissent pas depuis des siècles de faire tourner les esprits. Comme l’écriture de ce pays si loin si proche nous est opaque et que nos traductions sont approximatives, les noms de ces artisans du merveilleux quotidien demeurent pour nous incertains.

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    Akio Onizuka pour le premier. Harumoto pour l’autre.

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    Sous réserves. C’est dans la préfecture de Kagoshima qu’Akio le boucher tiendrait boutique. Le charpentier, quant à lui, résiderait dans la province de Hyogo. Ce n’est pas la porte à côté. Mais on croise leurs créations sur le Net et le monde en est plus léger.

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  • Triste en corps bière

    Tristan Corbière chevalier de l’interstice.

    Relisons Ça ?, le poème qui ouvre Les Amours jaunes.

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    L’auteur y parodie La Nuit de mai après avoir, dans une dédicace à celle qu’il aime, chambré La Cigale et la fourmi. « Anti-art poétique » dit Robert Sabatier. Ça y ressemble en effet. Quand on ne respecte pas La Fontaine, on peut bien dézinguer le Romantisme, le Parnasse et le Spleen baudelairien !

    corbière.jpgTristan Corbière (caricatura do poeta pelo próprio) - Frontispício de 'Les Amours jaunes'..jpg

    « Merci, mais j’ai lavé ma lyre » profère le poète qui ira jusqu’à se raser les sourcils pour dessiner sur son front deux yeux supplémentaires. « Ce refus oblique de l’Art mensonger s’affiche dès les premières pages du recueil » (Yves Leclair).

    Avec une obstination ravageuse et une autodérision radicale, Tristan Corbière énumère tout ce que son œuvre n’est pas : essai, étude, poésie, chanson, chic, épilepsie : « Pas de râle, ni d’ailes »… Le joli, le lyrisme, le classicisme, le succès, la nouveauté en prennent pour leur grade. Même l’Originalité n’est qu’une drôlesse.

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    T.C. en femme

    « L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’Art » : ce dernier mot de Ça ? ouvre à son auteur la porte de la modernité. L’important, de notre point de vue, est que Corbière n’arrive à ce résultat qu’en louvoyant entre valeur sauvage, folie littéraire et culture hégémonique:

    - « Mais, est-ce du huron, du Gagne ou du Musset ?

    - C’est du… mais j’ai mis là mon humble nom d’auteur ».

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  • Jean Pous et ses 60 fleurons

    Avec Jean Pous commencer l’année.

    Qui fréquenta comme nous jadis l’Aracine canal historique, le château-musée de Neuilly-sur-Marne (1984-1996), se souvient de l’émotion douce qui nous étreignait devant les galets sculptés par Jean Pous.

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    Trois pas suffirent hors d’Espagne à ce fabricant de bouchons pour inscrire sa vie de travail et de création entre le village de Sant Julia de Cerdanyola où il naquit en 1875 et Le Boulou où il mourut en 1973. Un itinéraire catalan sur fond de migration, d’initiative, d’énergie renouvelée juqu’à la limite des forces. Est-ce parce que Jean Pous (prononcez Pa-ous), enfant de la campagne, de l’école rurale, de l’apprentissage d’avant 1900 se consacra professionnellement au liège que, la retraite tard venue, il se tourna vers un matériau dur : la pierre de rivière ?

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    Toujours est-il que, promeneur solitaire au bord du Tech, cet octogénaire incapable de désoeuvrement, se mit à glaner les cailloux choisis pour leurs formes ovoïdes, allongées, irrégulières. Avec des outils de fortune, il ne tarda pas à y graver, griffer, poinçonner des figurations d’une élégance magistralement sommaire dont on peut jusqu’au 15 janvier 2017 découvrir une soixantaine de fleurons inédits à l’Espace Dominique Bagouet de Montpellier.

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    Tout un bestiaire notamment, d’une grande pureté de ligne.

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    Une adorable sirène.

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    Des visages, des profils dont on devine qu’ils enchantèrent Jean Dubuffet.

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    Quelques sculptures en ronde-bosse aussi comme ce personnage piqueté, aux épaules effacées, penché en avant, les mains serrées sur le bas-ventre.

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    Ou comme cette figure au traits essentiels dont la rigoureuse et économique expressivité atteint au sommet de certaines sculptures océaniennes.

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    Les informations relatives au créateur sont rares. Elles proviennent en grande partie de Claude Massé (fils du romancier Ludovic Massé) qui le premier s’avisa du talent de Jean Pous. Certaines similitudes de destin, une même obstination à se colleter à une matière ingrate à un âge avancé, ont fait que Pous fut rapproché de Joseph Barbiero.

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    On croyait son œuvre rare et conservée dans des musées. Il aurait en fait eu le temps de créer près de 1500 œuvres sculptées.

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    Et autant de dessins tardifs qui sont moins convaincants et dont aucun ne figure dans l’exposition de Montpellier. Celle-ci a le mérite de faire monter à la surface un ensemble significatif provenant de l’atelier de Jean Pous grâce à sa famille qui montre aussi des travaux de François (1911-2003), le fils de Jean.

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  • L’utopie topiaire de Wakamiya-san

    Wakamiya-san et son art topiaire sont venus comme un cadeau au pied de notre sapin interstiCiel. Par la grâce d’une fée des mousses et des lichens qui écrit à notre vieille Animula: « je rentre du Japon et j’ai eu la chance de passer près des topiaires que vous êtes la seule personne à avoir signalés ».

    Claude Lerat-Gentet, pédiatre de son état est aussi « une fondue de botanique et de voyages lointains » dont l’œil et l’APN sont toujours « prêts à tout pour capter paysages, animaux, fleurs et arbres ».

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    En novembre 2016, « lors d’un voyage au Japon (…) dans la région de Kyushu, endroit magnifique avec de beaux Onsen » elle a « eu un choc émotionnel très inattendu : un paysage fantastique digne d’un conte (…) a surgi le long de la lande bordant la route ». Des « topiaires d’animaux et d’oiseaux par centaines».

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    Et notre naturaliste émérite d’ajouter : « (…) lieu étrange et énigmatique et aussi fantômatique dans les brumes du petit matin ». Près d’une « petite ville d’eaux bouillonnantes (…) dans la direction du Mont Aso. Le GPS de notre Toyota n’a donné aucun nom à notre guide francophone et maîtrisant le japonais ».

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    Sur Wakamiya-san, l’auteur de cet endroit magique combinant patience, prouesse technique et génie du lieu, Claude a fini par glaner quelques renseignements en se livrant à « une longue et fastidieuse recherche sur internet ».

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    Ce vieil homme souriant de 76 ans s’affaire sans relâche à soigner son jardin-bestiaire installé dans un gigantesque creux résultant d’une ancienne éruption volcanique.

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    A l’enseigne d’Higotai (du nom d’un parc naturel voisin), une petite boutique de fruits, dont semble s’occuper sa famille.

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    Wakamiya-san, à sa façon toute japonaise, renseigne modestement sur son activité. En « seulement un demi-siècle », il n’a « pas pu faire beaucoup ». Entendez : 50 ans de labeur opiniâtre, 700 sujets dont beaucoup font 2 mètres de haut.

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    Acheter les plants, tordre le fil, modeler les armatures, pendant des mois surveiller la croissance, trouver le lieu propice aux installations dans le vent frais. L’œuvre d’une vie.

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    « Ce personnage étonnant m’a fait penser à un Facteur Cheval du bord des routes » nous dit Claude Lerat-Gentet et pour une fois la comparaison est justifiée. Même si, bien sûr, Monsieur Wakamiya nourrit son inspiration de références populaires locales, telles Kumomon, l’ours mascotte de la Préfecture de Kumamoto.

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    Facteur Cheval du végétal avec ceci en plus que ce jardin merveilleux, qui pulvérise toute notion convenue de land-art, s’inscrit délibérément sous le signe de l’éphémère. Fusionnant plantes et animaux (parfois mythiques), Wakamiya-san que des compatriotes, épris de contemporéanéisme, ont rapproché de Ueki, personnage de manga, ne saurait avoir de continuateur.

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    « Je pense avec nostalgie à cette œuvre fragile car elle demande beaucoup de soins et d’amour quand leur père disparaitra… Immanence des choses si chère aux Japonais » conclut très bien notre informatrice que l’ii remercie de nous offrir ses photos s’ajoutant à notre collection d’images animuliennes.

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  • Rien de rien

    Lisez Rien ! C’est le conseil de Béatrice Steiner en écho aux papiers qui saluèrent l’entrée du roman d’Emmanuel Venet dans notre monde littéraire d’ordinaire peu concerné par la sensibilité interstiCielle. Venet, il est arrivé aux lecteurs de notre ancien blogue, de le croiser à propos de Gaston Ferdière.

    Il revient sur celui-ci tant il « semble apprécier » - comme le dit Marianne Payot dans L’Express – « les sans-grades, les vies ratées, les rêves de splendeur confrontés aux durs aléas de la vie domestique ».

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    Emmanuel Venet campe un personnage de musicien non illustre dont le « ratage » inspire au narrateur un « sentiment de fraternité ». Qui se sert du piano périra par le piano. C’est donc par le biais de cet instrument, scellant dans le roman le destin du musicien Jean-Germain Gaucher, que Béatrice Steiner -psychiatre comme l’auteur- a choisi de poursuivre la réflexion.

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    Un piano fracassant

    Les déménageurs étaient ils seulement maladroits ? Toujours est-il que, leur échappant du haut de l’escalier, le piano s’est écrasé en contrebas sur le pianiste, par ailleurs déjà écrasé de dettes. Des dettes que le piano justement devait rembourser.

    Après le fracas meurtrier, restent ses débris, dignes de figurer au Musée de l’ombre des Illusions sur mesure de Gérard Macé. Les débris d’une biographie de fiction, celle de Jean-Germain Gaucher, musicien, compositeur dont la postérité a dédaigné, à juste titre semble-t-il, les petits arrangements médiocres qu’un superbe poème symphonique, à ses débuts, ne laissait pas prévoir. Mais auquel il a manqué un assentiment « paternel » qui l’aurait validé.

    Alors, céder à la facilité en hypothéquant son désir, brader son talent pour le rentabiliser, n’empêche nullement d’en garder l’illusion. Surtout quand l’élan amoureux y mêle ses harmoniques – découragé à la première dissonance. Faute de père, un beau-père ? Et sa fille, qu’il épouse, ignorant sans doute qu’elle aurait ce mauvais rôle. Elle qui finit de disperser les restes fatigués de ses élans au vent du commerce. Celui qu’elle ouvrira enfin dans le confort d’un rêve qui se réalise quand les déménageurs lui offriront la mort du désir – remboursée par l’assurance.

    Victoire de l’ennui et du magasin des accessoires. De la musique, que reste-t-il ? Silence. Du désir que reste-t-il ? Rien.

    D’où les déménageurs tenaient-ils ce savoir assassin ? Qu’il y a des dettes qu’aucun piano ne pourrait rembourser – ni Rienl'internationale intersticielle,emmanuel venet,béatrice steiner,gérard macé,marianne payot,jean-germain gaucher

     

     

     


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  • A la Plante du Songe

     «Nous n’admettions de solutions que celles du délire,

    nous ne demandions de mots d’ordre qu’au génie»

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    Alexandre Vialatte

    Les Amants de Mata-Hari

     Le Dilettante (2005), page 26.

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  • Se faire des cheveux dans les bois

    La culture des valeurs sauvages ramène dans les bois où le fou n’y est plus. lucien duc.jpg

    Promenons nous dans le massif des Maures avec le poète Lucien Duc (1849-1915).

    Dans ses souvenirs de jeunesse : En Provence (1893), Duc, le félibre de Valaurie, relate un triste événement survenu près de 25 ans avant.

    Celui de la mort d’un doux sage asphyxié dans l’incendie qui dévora en 1867 une partie de la forêt. Laurent L., plus connu comme Le Sauvage du Var.

    Laurent était une « sorte de Robinson improvisé » nous dit Duc. Depuis 30 ans, il « n’avait pas quitté le bois où il vivait de racines, de fruits sauvages, de champignons et de produits de sa chasse au piège ».

    30 ans, cela nous ramène en 1837. Bien avant la parution de Walden or Life in the woods d’Henry David Thoreau qui date de 1854. cabane walden.jpg

    Mais on ne peut manquer de risquer un parallèle entre eux. Laurent comme Henry David s’écartant de la civilisation sans rompre tous liens avec elle.

    « Singulier personnage », poursuit Lucien Duc, « qui s’était volontairement séparé de ses semblables, privé des douceurs de l’existence et qui consacrait le produit des plantes médicinales qu’il vendait aux pharmaciens de Pierrefeu ou de Collobrières, par l’entremise de quelques bûcherons, à se procurer (…) du tabac et des journaux ».

    Cette singularité en fait allait plus loin. Suffisamment loin pour intéresser le Dr Ernest Mesnet qui consacra à ce « beau cas » une Étude médico-psychologique que Laurent Cerise (1807-1869), éminent médecin et philanthrope, seconda de son autorité.

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    Le Sauvage du Var n’était pas, comme l’ermite américain, un écrivain. Il y a longtemps déjà j’ai signalé, dans la rubrique Body Art d’un livre collectif paru chez Actes Sud (abcd une collection d’art brut), les pratiques autarciques de cet homme inoffensif qui, se prenant lui-même comme un gisement, faisait « la récolte de son corps », conservant ses cheveux et les poils de sa barbe pour s’en tisser un manteau. L’exploitation de cette pilosité généreuse aboutissait à des traitements de son invention.

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    Ainsi le sauvage du Var s’enduisait-il « la tête et le menton d’une matière visqueuse, noire et brillante qu’il tirait de l’écorce des chênes verts ».

    Ainsi se parait-il de dreadlocks avant la lettre, disposées « en turban autour de son crâne et en virgules sur ses joues ».

    Enrichissant son visage « d’appendices bizarres ressemblant aux mandibules d’un insecte » comme on peut le voir sur une gravure d’époque.

    Aujourd’hui encore, comment ne pas être sidéré par ces conduites, d’autant plus artistiques qu’elles ne prétendaient pas l’être ? Et sans équivalent dans la culture de leur temps, faut-il le souligner ?

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  • Paulhan, allumeur allumé

    « Dîner chez Dhôtel. Il me raconte que Paulhan, venant chez lui, voyant son fils qui avait fait un échafaudage avec des allumettes, lui dit : « si maintenant on mettait le feu ?». Ce qui fut fait et causa une brûlure et un trou à la table… »

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    Jean Follain. Agendas 1926-1971.

    Note du 11 novembre 1959, page 261

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  • Bukowski a bien fait ça

    Des jours comme ça, on se soûlerait bien à en crever l’écran de l’ordi. Ça m’a fait penser à Charles Bukowski, l’écrivain américain dont la machine à écrire faisait vibrer les murs. Faut pas croire, aux States, ils ont des poètes et Hank (un des pseudos de Bukowski) en est un. Un de la pire espèce ravageuse qui a tendance à foutre sa poésie dans la vie.

    On se souvient de sa tournée en Europe en 1978. De son passage à Paris sur le plateau d’une émission de TV dont il fit voler en éclats la prétention littéraire. MDR je demeure quand je revois le grand anarchiste Cavanna, débordé sur la gauche de sa gauche par l’auteur des Contes de la folie ordinaire, finir par ordonner à ce vieil enfant terrible l’ordre de fermer sa gueule.


    Mais on ne saurait avec Bukowski en rester à la case spectacle. Aussi faut-il lire la relation des faits telle qu’il la livre dans Shakespeare n’a jamais fait ça. « Allez, bois un petit coup … Ça te fera du bien au gésier… » glisse Bukowski à « l’animateur » qui ne l’impressionne « pas des masses » malgré sa notoriété en France. « Avec dédain », Bernard Pivot lui aurait « fait signe de la boucler ».

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    Selon Mr Hank, « le psy qui avait administré les électrochocs à Artaud » (le docteur Ferdière) n’arrêtait pas de « le scruter ». And so on jusqu’à l’éviction du perturbateur qui, de son aveu goguenard même, « avait déjà pas mal éclusé ».

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    Lisez vous-mêmes. Les cossards ou les radins qui hésiteraient à se procurer ce Shakespeare du « vieux dégueulasse » doivent savoir qu’ils manqueront aussi la non-visite du centre Pompon par Bukowski, bras-dessus bras-dessous avec le cinéaste Barbet Schroeder. « Heureusement que Barbet n’a pas proposé qu’on entre, j’étouffe dans les musées, je préfère encore aller voir un mauvais film, ça m’agresse moins ».

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    Citer c’est trahir déjà mais à celles et ceux que décourage une journée de « turbin ordinaire » ou de chomdu, comment ne pas recommander la description du parvis de Beaubourg où s’affairent des « personnages intéressants » parmi lesquels « toutes sortes de cinglés malsains, endurcis, pathétiques, affamés, automutilés ». Et pour tirer la couverture interstiCielle à moi, j’ai noté : « Un type écrivait un message avec son propre sang sur le ciment ».

    La suite vaut le détour et tout le livre est à consommer sans modération comme la chronique intime et décalée d’un voyage cahotique qui fait grincer des dents et hurler de rire ce qui n’est pas négligeable en ce moment.

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  • Pastor encore

    A ces confins de l’être et des choses vers quoi l’on verse à l’approche du sommeil, du réveil, de la naissance ou de la mort, un peintre dans l’ombre s’est consacré et c’est Gilbert Pastor.

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    Pastor encore. Bien que disparu en 2015 à 83 ans. Mais disparaître est-ce que ça compte quand on travaille comme lui le silence ? Quand on s’immisce comme lui dans ce no man’s land situé entre lumière et ténèbres ?

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    On avait pris l’habitude de croiser Gilbert Pastor (sinon lui, son œuvre) à Paris où la Galerie Béatrice Soulié lui a consacré récemment plusieurs de ses expositions. Figurait toujours là L’Œuf sauvage, la revue de Claude Roffat qui n’avait pas craint –en mars 1992 déjà– de consacrer la couverture de son numéro 3 à une « apparition » sans titre du peintre d’Aups.

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    Pastor revient ou son fantôme (mais un fantôme pétri de la chair de nos rêves) à la Polysémie, galerie marseillaise, à partir du 3 novembre –jour du vernissage– au 17 décembre 2016.

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    invit lutrin.jpgGilbert Pastor qui, dès 1977, montra son travail à Lyon au Lutrin de Paul Gauzit, renoue ici avec sa Provence qu’il faut s’imaginer à rebours des clichés touristiques.

    Une Provence noire où l’on se protège des soleils tartarinesques et du mistral toujours gagnant par des ruelles, des volets clos, des escaliers étroits, des volumes confinés, des poussières.

    Une Provence ouverte à la rumeur du monde cependant puisque Gilbert Pastor entra dès 1948 dans la peinture par le truchement de Boris Bojnev, un poète russe qu’il considérait comme son père spirituel. 

    bojnev 2.jpgRévélé par Alphonse Chave dans sa galerie vençoise au début des années soixante, Bojnev reste fameux pour ses œuvres touchantes et originales, où il assemblait petites toiles naïves anonymes et encadrements insolites faits de textiles peints, d’éclats de bois et d’éléments végétaux.

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    A ces « auras », Pastor d’abord contribua. Avant d’inventer sa voie qui, pour prendre elle aussi naissance dans l’autodidactisme, n’allait pas moins le mener vers toujours plus d’intériorité.

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    On se fera une idée de son parcours intime en consultant le dossier de presse de la Galerie Polysémie.

    couv presse.jpgA plusieurs livres, Pastor donna des illustrations. Par exemple ce rare dessin original qu’il réalisa pour le tirage de luxe d’un texte de Bernard Noël (Les Plumes d’Éros) paru en 1993 chez Les Autodidactes.

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    Son absence de concession nous paraît coller à ce passage d’un article (signé M.H.) de la Gazette de l’Hôtel Drouot paru en 1995 : «Le sfumato qui les [les œuvres de Pastor] enveloppe n’est pas là pour camoufler quelque inaptitude que ce soit mais, bien au contraire, pour voiler la maîtrise technique. L’artiste reste constamment en deçà de ses moyens. Tout est ici réserve et pudeur. Dans ses toiles aux couleurs délibérement étouffées, tout comme dans ses grands dessins mystérieux qu’irise parfois un soupçon de couleur, Pastor reste en retrait, rejetant toute exhibition de son talent. Chacune de ses œuvres est un appel muet».

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  • De l’art lilliputien

    C’est l’histoire d’une fille, elle est liliputienne. Liliputienne ça ne veut pas dire naine au sens vulgaire du terme. A son patron qui craint que sa petite tête ne loge une cervelle d’oiseau Lia Déminadour (c’est le nom de la liliputienne) explique que « ce sont les circonvolutions qui comptent, pas le poids. Pas le poids absolu mais le rapport du poids du cerveau au poids du corps ». Et cette héroïne inoubliable d’un roman pathétique et drôle de Béatrix Beck d’ajouter : « Je fais partie de la catégorie des nains harmonieux ».

    Cette harmonie swiftienne, Lia s’efforce de l’accepter et de la faire reconnaître par les personnes de taille ordinaire, toujours tentés de jouer avec elle à la poupée. C’est sous cet angle que Béatrix Beck (qui n’était pas grande non plus) déroule, dans son style limpide, transparent et cursif, les chagrins, les joies et le « presque amour » de cette femme de papier qui dit mélancoliquement : « Je ne suis pas prenable ».

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    Pour Georges Lhuys, un artiste-peintre, qui l’idolâtre au point de la représenter en « écureuil, champignon, buisson », Lia, « par mimétisme et rage rentrée » se met à peindre de petites aquarelles : « l’ogre s’égayait avec ses sept filles (…), le marquis de Carabas mangeait son chat (…) le Petit Chaperon rouge (autoportrait) et le loup forniquaient à côté de la grand-mère endormie (…) » Tous les détails pages 67 et 68 de l’édition Grasset de 1993.

    Plus tard, à la page 108 exactement, devenue jeune fille au pair, Lia gratifie l’enfant de 5 ans dont elle s’occupe « de tableautins de sa composition, semblables de facture à ceux qu’elle peignait pour Lhuys (…) mais aux sujets bien différents : paradis terrestre où un corbeau se déplaçait à dos de renard. Sirène se mouchant dans une algue ».

    A l’intersection du monde des enfants et du point de vue des grandes personnes, Béatrix Beck invente la peinture liliputienne.

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